BERGERAC (24 Dordogne)
Bergerac est une ville attrayante qui ne manque pas, la saison venue, d'attirer de nombreux touristes dont certains, tombés sous le charme y reviennent s'installer à la retraite… Bergerac est en effet, entourée d'un vignoble non moins prestigieux que le Périgord Noir dont elle est la porte d'entrée, une tranquille petite ville de province.
Il n'en fut cependant pas toujours ainsi. Née de la Dordogne, tournée vers "sa" rivière, Bergerac tira sa puissance de son port et de son pont, ou plus exactement de ses ponts successifs, dont les poutres impressionnèrent Rabelais lui-même. Au Moyen-Age, ce pont était la clé du Périgord et le seul point de passage entre le Limousin et l'Angoumois vers l'Agenais, le Languedoc et le Béarn. Très tôt (1322), le roi de France acc orda droit de sceau de milice et de maison commune aux consuls de Bergerac dont les prérogatives étaient telles qu'ils pouvaient refuser à des grands du royaume le passage sous leur pont du vin de Domme qu'ils avaient eu le tort d'acheter! En cas de conflit avec les seigneurs locaux ou avec la métropole bordelaise qui jalousait la réputation des vins de Bergerac, les consuls faisaient appel au roi de France, ou à celui d'Angleterre… au cours de la guerre de cent ans, il fallait savoir louvoyer, ce qui n'empêcha pas lord Derby de brûler le pont et de s'emparer de la ville. La vieille église Saint Jacques dont une bulle papale fait mention dès 1088 vit du Guesclin y recueillir en présence du Duc d'Anjou, frère de Charles V, les serments de fidélité des chefs des Maisons à la couronne.
Les consuls ayant adopté la religion réformée, la période des guerres de religion fut particulièrement sanglante, même si c'est dans notre cité que furent lancées en 1577 en présence du roi de Navarre, futur Henri IV, les bases de ce qui sera l'Édit de Nantes. Les troupes catholiques saccagèrent la ville qui avait donné refuge à la reine de Navarre, et selon une fâcheuse habitude, détruisirent le pont. Lors d'une accalmie, Charles IX et Catherine de Médicis furent accueillis en de grandes fêtes qui virent les fontaines "pisser" du vin dont firent grand profit pages et laquais. Le roi Louis XIII reçu à son tour dans une grande liesse n'en n'imposa pas moins à cette ville qui souhaitait demeurer huguenote la destruction des remparts qui la protégeaient depuis Philippe Auguste. Sous louis XIV, elle subit les dragonnades et le temple fut détruit. Quant à Louis XV, faisant fi des chartes et libertés données en récompense de l'héroïsme et fidélité de la ville, il décida d'échanger Bergerac avec le duc de La Force contre à peine 30ha de forêt près de Dreux!
A la révolution, ce fut sans doute en raison de sa situation excentrée au sud du département que la ville ne devint pas préfecture. Au début du XXème siècle son dynamisme en faisait une capitale économique qui voyait s'installer uns succursale de la Banque de France, et au cours de la première guerre mondiale, la municipalité eut à gérer une population passée de 16000 habitants en 1914 à 46000 en 1919, dont 25000 employés à la poudrerie. Son régiment paya largement le prix du sang (1052 morts, 816 disparus, 4204 blessés…) mais en 1917, le 108ème d'infanterie fut l'un des premiers à protester contre l'impéritie du commandement, confirmant le caractère vif et digne des hommes de chez nous.
Quelques grands noms jalonnent l'histoire de Bergerac, Maine de Biran, homme politique et philosophe dont Henri Sicard fut au XXème siècle le parfait successeur, Mounet Sully le grand tragédien, Samuel Pozzi, le chirurgien qui créa la gynécologie moderne… Cyrano? Ah oui, Cyrano! Il parait qu'on ne l'a guère vu flâner sur les rives de notre belle Dordogne, il est vrai qu'avec cet effrayant coulobre qui traîne encore dans les flots…
Bergerac approche aujourd'hui les 30.000habitants, et s'il y fait encore bon vivre, elle a beaucoup perdu de sa prestance. Disparues la Banque de France comme la CCI et la coupole de la BNP symbole de la réussite bergeracoise, ou encore les palmiers et lagerstroemias qui donnaient à la rue Neuve un petit air de côte d'Azur, enlevé le vieux kiosque autour duquel on se rassemblait, place de la République pour entendre les concerts. Côté militaire, le 108ème a été dissout depuis longtemps, la caserne des gendarmes mobiles déménagée, la poudrerie entre en agonie et le Pont Roux bientôt fermé. Reste le sport, le rugby surtout, puis le foot, mais quand retrouveront-ils ces heures de gloire qui permettent de nos jours à bien des villes d'afficher leur dynamisme?Heureusement, avec l'aviron, la plus ancienne société de Bergerac, le SNB relève le défi, et la rivière a retrouvé la navigation de gabares mais les écluses de Tuilières inutilisables en amont et le barrage de Salvette en aval en limitent l'expansion. Seul ou presque, l'aéroport né dès les premiers temps de la conquête de l'air semble ouvrir de nouvelles voies, contestées il est vrai par les écologistes…
Pas plus que l'eau de cette Dordogne qui dévale, franchit ou contourne les obstacles, peut gonfler au point de tout emporter depuis l'Auvergne, ou geler jusqu'à bloquer toute navigation avant de s'assécher dangereusement certains étés,l'histoire de Bergerac n'a jamais été celle d'un long fleuve tranquille!
Annie-Paule Christian FELIX
( Auteurs de : La navigation sur la Dordogne et ses affluents, EditionsAlan Sutton)